
Deux sujets occupent la une du numéro 3991 du Canard enchaîné, paru le 23 avril 1997 :
D’abord, l’annonce par Jacques Chirac, le 21 avril au soir, lors d’une intervention télévisée qualifiée de « laborieuse », de la dissolution de l’Assemblée nationale, alors que la droite y dispose d’une écrasante majorité de députés (472 sur 577) depuis les législatives de mars 1993.

En fait, la décision a été prise le dimanche 9 février, lors d’une réunion avec Chirac, le secrétaire général de l’Elysée Dominique Galouzeau de Villepin, le Premier ministre Alain Juppé et son directeur de cabinet Maurice Gourdault-Montagne. La motivation est d’anticiper une dégradation des déficits publics (3,8 % du PIB en 1997, au-delà des 3 % exigés par le traité de Maastricht) prévue par Bercy, ce qui conduirait à réduire les dépenses publiques et à empêcher la majorité présidentielle de remporter les législatives prévues en mars 1998. Il s’agit aussi de requinquer un Premier ministre, particulièrement éprouvé depuis 1995 (grandes grèves, démission d’Alain Madelin, affaire de l’appartement de son fils Laurent, épisode des « jupettes »…). Erik Emptaz écrit : « C’est bien connu, Chirac n’aime rien tant que les campagnes électorales. Elles le mettent en joie. Le président de la République a toujours une âme de candidat, le problème, c’est qu’entre deux campagnes il a tendance à trouver le temps long. Alors, à défaut de faire avancer les choses, il anticipe la date des prochaines élections. Il appelle cela « aborder une nouvelle étape » ou « prendre un nouvel élan ». Il affirme en avoir besoin pour « poursuivre » et « aller plus loin », mais il est en mal de préciser où. Ses vraies motivations, qui sont d’abord et surtout celles de son Premier ministre Juppé, ne sont évidemment guère avouables». Et, prophétique, Emptaz de conclure : « En 1995, quand Chirac fut élu en nous promettant du Che Guevara, un de ses proches avait dit « C’est un Bédouin qui a gagné au Loto. » Aujourd’hui, alors que le Chi nous vend cette fois du Juppé-Tony Blair, il ne joue plus au Loto mais au poker. C’est un jeu auquel on peut certes bluffer et gagner, mais, quand le bluff se voit trop, on y perd plus gros qu’au Loto ! ». De fait, la Gauche plurielle l’emporta avec 312 sièges contre 251 à la majorité présidentielle, portant Lionel Jospin à Matignon pour une cohabitation de cinq ans.


Ensuite, l’affaire des faux électeurs des époux Tibéri à Paris. Déjà, à la veille des élections municipales de 1989, Le Canard avait découvert une étrange transhumance, conduisant des centaines d’électeurs des beaux quartiers à se faire domicilier – fictivement – dans des HLM de l’Est parisien. Mais, en 1997, dans le fief du Vème arrondissement des époux Tiberi, le phénomène a pris une ampleur industrielle. Deux journalistes du Canard, Hervé Liffran et Elise Rouard, ont épluché les listes électorales, les ont vérifiées sur le terrain et publient les résultats de leur longue et difficile enquête, portant sur un échantillon de 7 927 inscrits, soit 19,13% du corps électoral : « À l’arrivée, le taux de non-domiciliés aux adresses indiquées sur les listes atteint le chiffre fantastique de 30,7%, soit 2 434 électeurs ». Ce taux grimpe à 50% dans les HLM attribués par les Tibéri et même à 100% dans un immeuble fantôme bourré d’amis du RPR ! On découvre un nid d’électeurs âgés de 104 à 119 ans, « des morts fort civiques » ! Inscriptions bidon en échange de logements HLM, d’emplois municipaux ou de places en crèche et paquets de procurations « arrangées ». La justice est saisie mais il faudra attendre le 3 mars 2015 pour que la Cour de cassation confirme les peines de prison avec sursis, les amendes et l’inéligibilité infligées au couple Tibéri. 18 ans d’enquête et de procédure, durant lesquels Jean Tibéri aura pu continuer à exercer ses mandats…
Sylvain Parpaite