26 mars 1986 – La cohabi-Tonton !

Le Canard enchaîné du 26 mars 1986 – Collection Le Centre de la Presse.

Dimanche 16 mars 1986. Pour la première fois sous la Vème République (et la seule à ce jour), les élections législatives sont organisées au scrutin proportionnel départemental à un seul tour au lieu du scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Cette réforme du mode de scrutin est instaurée en 1985, alors que la gauche est mal-en-point dans les sondages, provoquant au passage la démission du gouvernement de Michel Rocard, qui dénonce un risque de retour à l’instabilité ministérielle. François Mitterrand voulut faire d’une pierre trois coups : d’abord tenir une promesse – la proportionnelle est la 47ème des « 110 propositions pour la France » de sa campagne électorale de 1981 – ensuite réduire le nombre de députés de droite, enfin jouer sur les divisions de la droite en faisant entrer à l’Assemblée nationale (qui passe de 491 à 577 députés) les premiers députés d’extrême droite, candidats du Front national (35 élus au final). 

France-Soir du 17 mars 1986 – Collection Le Centre de la Presse.


Lionel Jospin, alors premier secrétaire du Parti socialiste, reconnaîtra a posteriori que la proportionnelle visait à « empêcher la droite d’avoir une écrasante majorité à l’Assemblée nationale », sans mentionner cependant que c’était dans l’espoir de voir un résultat élevé pour le Front national.
En nombre de sièges, la victoire des deux partis de droite, RPR et UDF, est moins importante que prévue, les obligeant à composer avec des élus « divers droite » pour assurer la majorité absolue de 289 sièges. Le PS, malgré un reflux important de sièges, reste le premier parti à l’Assemblée nationale. Le 20 mars 1986, François Mitterrand nomme à Matignon Jacques Chirac, président du RPR, inaugurant ainsi la première cohabitation de la Vème République.

La Croix du 19 mars 1986- Collection Le Centre de la Presse.


Dans le numéro 3413 du Canard enchaîné, paru le 26 mars 1986, André Ribaud (alias Roger Fressoz), le Directeur, qui a tenu notamment les rubriques « La Cour » sous De Gaulle et « La Régence » sous Pompidou, se délecte de cet épisode politique inédit : « Depuis le 20 mars 1986, la France est un État constitutionnel formé de deux Républiques autonomes sises à Paris de part et d’autre de la Seine, fleuve frontière. Sur la rive droite s’étend la Mitterrandie, nation de gauche, capitale l’Élysée. Sur la rive gauche, la Chiraquie, pays de droite, capitale Matignon. La Mitterrandie présente toujours toutes les apparences de la souveraineté. Elle n’en a plus entièrement les moyens. Elle est réduite dans son territoire […] Cependant la Mitterrandie présente l’avantage d’être  fortement rassemblée, compacte et unie derrière son Tonton de prince […] La Mitterrandie et la Chiraquie vivent en état de paix armée, d’armistice rusé. On s’observe, on s’épie, on s’espionne […] La Mitterrandie dispose d’une puissante enclave fortifiée en territoire chiraquien, sur la rive gauche : c’est la rue de Bièvre où Tonton dort. La Chiraquie possède un non moins puissant bastion en territoire mitterrandien, sur la rive droite : c’est l’hôtel de ville où Jacquou couche. Ces deux donjons sont presque face à face […] à portée d’arbalète […] C’est de là que partira un jour la déclaration de guerre, l’ordre de monter à l’assaut de la casemate d’en face en franchissant la Seine, qu’on rebaptisera ce jour-là le Rubicon. Le bon peuple est un peu abasourdi, mais finalement assez amusé de se retrouver avec un État à tiroirs constitué de deux Républiques nettement rivales et forcément interdépendantes. Le voilà affublé, au sein de la citoyenneté française, de la double nationalité, mitterrandienne et chiraquienne. C’est d’un cocasse, mes princes ! ». 

Sylvain parpaite