
Dans les années 1930, Le Canard enchaîné s’employa à combattre tous les mouvements, les hommes, les idées qui lui semblaient menacer directement la République: les royalistes de l’Action française, les faux républicains des Croix de Feu puis du Parti social français, les émules de Charles Maurras et de Léon Daudet ainsi que les journaux de droite à grand tirage, proches de tous ces mouvements, tels que Candide, Gringoire et Je suis partout.



Il prit aussi pour cible Jacques Doriot (1898 – 1945), considéré comme le continuateur du colonel de la Rocque. Doriot avait en plus ceci de particulièrement déplaisant pour Le Canard qu’il avait renié ses convictions communistes (il fut chef des Jeunesses communistes en 1923, député, membre du comité central du PCF, maire de Saint-Denis en 1931, avant son exclusion en 1934) pour embrasser la cause la plus réactionnaire. Ses journalistes dénoncèrent cette trahison.

Avant même que Doriot fonde le Parti populaire français (PPF), d’inspiration fasciste et anti-communiste, le 28 juin 1936, Pierre Bénard, le rédacteur en chef du Canard enchaîné, avait déjà pressenti qu’il était en train de mal tourner. Ainsi, dans le numéro 1026 du 26 février 1936, il écrit: « On s’était fait du souci bien à tort à cause de M. Jacques Doriot. Ce garçon-là, avec des idées, où va-t-il aller ? A cette époque, long, mince, armé de lunettes d’écaille, le ton froid et le verbe tranchant, il était l’image même, attirante, du révolutionnaire moderne qui a abandonné le romantisme des vieilles formules. M. Jacques Doriot n’a pas voulu décevoir d’aussi beaux espoirs. Il a compris, plus tôt même que M. Pierre Laval, qu’il était temps de se ranger. Finie la vie de garçon. Nous sommes à une époque difficile où on n’a plus le loisir de flâner et de rester toute son existence un vieil étudiant […] M. Jacques Doriot, lui aussi, à son tour, a jeté sa gourme. Maintenant, il discute gravement avec M. Pierre Taittinger et le chanoine Polimann de la Famille et de la Société. C’est la vie. Bien sûr, il y a des gars qui ont cru aux boniments de M. Jacques Doriot, qui n’ont pas compris que c’était façon de parler et exercice de style […] M. Jacques Doriot a un bel avenir devant lui. Il est intelligent et ambitieux. On ne se fait pas une situation dans le monde en prolongeant un béguin de jeunesse. »
L’avenir de Doriot, ce fut la collaboration radicale avec l’Allemagne nazie, la création de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) – il partit combattre sur le front de l’Est sous uniforme allemand avec grade de lieutenant – et la mort dans une voiture mitraillée par des avions en maraude.
Prophétique, Bénard conclut son article ainsi: « Ce Jacques, quel type tout de même ! Oui, quel type ! Pauvre type ! »
Sylvain Parpaite