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Paris, 13 février 1936. Au croisement du boulevard Saint-Germain et de la rue de l’Université, Léon Blum, qui vient de sortir de la Chambre des députés, passe par hasard devant la foule qui attend le cortège funèbre de l’historien royaliste Jacques Bainville. Blum est en voiture avec ses amis Germaine et Georges Monnet. Ce dernier est au volant, tandis que sa femme s’est assise à côté de Blum à l’arrière. Le chef socialiste est reconnu, la voiture cernée, immobilisée, défoncée. Germaine Monnet a poussé Blum dans un coin et s’est couchée sur lui pour le protéger, mais l’un des agresseurs réussit à arracher un morceau du pare-chocs avec lequel il brise la glace arrière et frappe à la tête le passager bientôt couvert de sang. C’est un véritable lynchage que subit en pleine capitale le chef socialiste. « A mort Blum ! Blum au poteau ! » hurlent les Camelots du roi, les militants de l’Action française, les agitateurs à la fleur de lys.
On s’imagine ce que Léon Blum, que la presse d’extrême droite appelle « le circoncis du Narbonnais » ou « le belliqueux Hébreu » , peut inspirer d’exécration: Juif, socialiste, antifasciste, il a tout pour exciter les furies de Charles Maurras et la colère de ses ligueurs. Depuis des années, ils sont chauffés à blanc par leur journal favori, cet Action française où Maurras et Léon Daudet jettent chaque jour leur déluge d’invectives contre le Parlement, la gauche, la droite modérée, la république. C’est ce quotidien qui, déjà, avait préparé l’opinion à l’émeute du 6 février 1934.
Grâce aux Monnet, à deux agents de police accourus et à un attaché parlementaire qui sort du ministère, Léon Blum peut être soustrait aux lyncheurs et conduit à l’Hôtel-Dieu, avant de rentrer chez lui la tête enveloppée de bandes Velpeau. Le soir même, l’indignation de la Chambre est unanime, et le gouvernement d’Albert Sarraut fait voter la dissolution des organisations de l’Action française, sa ligue, ses Camelots du roi et sa Fédération des étudiants. D’où le jeu de mots du Canard dans les oreilles : « Sarraut… sur le Daudet » . Le dimanche suivant, 16 février, une manifestation imposante du Front populaire scande, quatre heures durant, de la place du Panthéon à la Nation, son unité contre « le fascisme assassin » .
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Dans le numéro 1025 du 19 février 1936, Le Canard enchaîné – qui combat l’Action française depuis le début des années 1920 – titre ironiquement: « L’odieux attentat de M. Léon Blum contre M. Charles Maurras a piteusement échoué » et Jean Galtier-Boissière écrit: « Un homme de 63 ans assailli par une horde d’énergumènes, un blessé ruisselant de sang que l’on s’efforce d’achever à coups de pied, une femme qui courageusement s’interpose, insultée et rouée de coups, voilà des exploits qui ne rehausseront pas le prestige des royalistes. Non plus que l’histoire du chapeau-trophée, les piteuses dérobades des matraqueurs pris sur le fait grâce au film providentiel, ou le ton cafard de l’hypocritissime Maurras qui, depuis l’assassinat provoqué de Jaurès, ne manque jamais de décliner toute responsabilité. Les champions du décervelage ont réussi à réaliser contre eux l’unanimité de l’opinion ».
Maurras récidive le 14 mai suivant, traitant Blum de « détritus humain« , ajoutant: « C’est un homme à fusiller, mains dans le dos« . Cette fois, il écopera de huit mois de prison. Pour l’heure, il a offert au Rassemblement populaire l’occasion, dixit Marcel Cachin, « de constater sa force immense« . Après la victoire du Front populaire aux législatives, Blum devient Président du Conseil des ministres le 4 juin 1936.
Sylvain Parpaite