5 février 1919 : un vrai tour de forges

Et si les poilus, à leur insu, n’avaient fait que défendre les intérêts des marchands de canons ?

Fin 1918, Le Canard enchaîné et Le Crapouillot accusent le sidérurgiste français de Wendel d’avoir obtenu du Grand Quartier Général (GQG) qu’il ne bombarde pas le bassin de Briey-Longwy – tombé aux mains des allemands – afin d’épargner les usines qui s’y trouvaient. Dans le numéro 136 du Canard enchaîné du 5 février 1919, on lit: « Et Briey bombardé, c’était les allemands dans l’impossibilité matérielle de fabriquer le métal indispensable à la continuation de leur guerre, c’était la tuerie arrêtée deux ans plus tôt, des centaines de milliers de vies sauvées !… Mais c’était, du côté boche, les hauts-fourneaux qu’on aurait mis à mal, et, de notre côté, des centaines de millions de bénéfices sur les munitions à fournir qu’on n’aurait pas faits ». 
La dimension exceptionnelle de cette affaire, qui va empoisonner toute la vie politique de la IIIème République, tient beaucoup à la personnalité de François de Wendel, député de Meurthe-et-Moselle, grand industriel, régent de la Banque de France, chef du Comité des Forges et l’un des principaux distributeurs de fonds patronaux à la presse, un symbole de ce que la gauche appellera les « deux cents familles ».
Une commission d’enquête parlementaire, créée en février 1919, ne permet pas d’établir les faits, toujours niés par la famille de Wendel.
L’affaire rebondit dans les années 1930, quand Le CanardLe Crapouillot et L’Humanité font état de lettres prouvant la démarche effectuée par l’industriel, notamment une missive manuscrite du 7 mai 1916, envoyée par de Wendel au GQG. Mais les archives sont hermétiques et, dans l’impossibilité de retrouver ces documents, les historiens – notamment Jean-Noël Jeanneney – conclurent à leur inexistence.

Le Crapouillot d’octobre 1933 – Collection Le Centre de la Presse.
Le Crapouillot d’octobre 1933 – Extrait de l’article consacré au bassin de Briey – Collection Le Centre de la Presse.


Rebondissement en 1981: Simone Pesquiès-Courbier, archiviste du Service historique de l’armée de l’air, exhume la lettre manuscrite du 7 mai 1916. François de Wendel a bien écrit au GQG pour lui faire part de sa « surprise », demander les « raisons qui font viser » ses usines et solliciter un entretien, sans émettre de protestations. 
Démarche habile et probablement efficace, puisque, selon les historiens, « il ne fait pas de doute que les usines à capitaux français, installées de l’autre côté du front, ont été ménagées durant la plus grande partie de la guerre
 ».

Sylvain Parpaite