La réouverture en décembre dernier de la cathédrale Notre-Dame de Paris a été un événement mondial qui a rassemblé le 7 décembre de nombreux chefs d’État et de nombreux donateurs venus de toute la planète. Une réouverture qui s’est faite 68 mois après l’incendie du 15 avril 2019, et après d’impressionnants travaux réalisés en un temps record, avec des moyens financiers considérables, grâce entre autres à près de 850 millions d’euros de dons..
Nous avons retrouvé dans les collections du Centre de la Presse, deux anciens articles avec des visuels de l’époque.
Le premier article date de 1833. Nous sommes sous Louis-Philippe. C’est le premier papier du premier numéro d’une nouvelle revue encyclopédique, La Mosaïque, « livre de tout le monde et de tous les pays » Ce périodique naît quelque temps après la création d’une autre revue encyclopédique Le Magasin pittoresque d’Edouard Charton dont nous possédons la quasi-totalité des numéros parus. Voici ce premier texte précédé d’un dessin au trait de la cathédrale, réalisé deux ans après la parution du roman historique de Victor Hugo, Notre-Dame-de-Paris, douze ans avant le début des travaux conduits par les architectes Jean-Baptiste Antoine Lassus et Eugène Viollet-le-Duc. A noter qu’à cette époque, il n’y a plus de flèche. La flèche médiévale construite au XIIIème siècle a été démontée à la fin du XVIIIème siècle.
« L’origine de la première église métropolitaine de Paris se perd dans les premiers temps de notre histoire. On n’en trouve de détails dans aucune de nos anciennes chroniques ; mais il paraît qu’elle n’était pas digne d’un grand royaume, ou qu’elle tombait en ruine, car, vers le milieu du douzième siècle, on s’occupa d’en construire une nouvelle. Maurice de Sully, parvenu au siège épiscopal de Paris, quoique sorti des rangs du peuple, ne craignit pas de commencer cette immense entreprise qui devait coûter deux siècles de travaux et de persévérance.
Cet édifice colossal, dont le poids est incalculable, est bâti sur pilotis. Sa longueur est de 390 pieds, sa largeur de 144, et la hauteur de la voûte intérieure de 104. La façade a 120 pieds de développement.-On ne saurait mettre en mouvement cette masse Le rez-de-chaussée est composé de trois portiques de forme et de hauteur inégales ; ils sont surchargés d’ornemens dans le goût du temps, et on voit qu’ils ont été ornés de statues qui ont été détruites par le temps ou renversées dans nos troubles révolutionnaires. Il est à remarquer que sur un des portiques on a figuré un zodiaque, et qu’on a retrouvé le même symbole sous le frontispice des temples de la plus haute antiquité. Les signes sont les mêmes, avec cette différence que Cérès est remplacée par la vierge Marie.
Au-dessus du portail on voit vingt-sept niches où étaient placées autant de statues colossales des rois Francs, depuis Childebert jusqu’à Philippe- Auguste. Elles ont disparu sous la terreur. A la rangée supérieure se trouve une fenêtre ronde de quarante pieds de diamètre et qui se nomme la Rose. Chaque face latérale de l’église offre une semblable fenêtre travaillée avec toute la recherche de cette époque. Ces trois Roses ne donneraient pas assez de jour dans l’église ; elle est éclairée par cent-treize vitraux dont les peintures attestent l’enfance de l’art et n’offrent rien de remarquable. Au-dessus de la Rose, règne sur toute la façade un péristyle composé de trente-quatre colonnes dont chacune est d’une seule pièce, mérite qu’on ne peut apprécier à distance.
Les portiques qui se voient aux deux extrémités de la façade sont surmontés de deux grosses tours de forme carrée, et d’une hauteur de 204 pieds. Dans la tour du sud est placée la fameuse cloche plus connue sous le nom de Bourdon, et qu’on ne sonne que dans les grandes fêtes ou dans les grandes occasions, comme le couronnement des souverains, leur mort, ou la naissance de l’héritier du trône. Cette cloche, qui pèse trente-deux milliers, a été fondue en 1682, et à la suite d’un accident elle a été refondue trois ans après en 1685.
On ne saurait mettre en mouvement cette masse considérable pour la faire retentir ; on ébranle le battant qui frappe les bords de la cloche et produit des sons graves et lugubres qui s’entendent à une grande distance. Ce battant pèse 976 livres. Le Bourdon fut baptisé en grande cérémonie et reçut les noms d’Emmanuel-Louise-Thérèse. Ses parrain et marraine ne furent rien moins que Louis XIV et la Reine.
On comptait autrefois quarante-cinq chapelles sur les deux côtés latéraux, aujourd’hui on n’en compte plus que trente-deux. Le chœur, qui a 115 pieds de long sur 35 de large, est pavé en marbre de diverses couleurs. Il contient plusieurs peintures remarquables, et autrefois la nef était surchargée de tableaux dont l’aspect était loin d’être agréable parce qu’ils ne représentaient que des martyrs et des supplices.
La charpente du comble est sans contredit ce qu’il y a de plus curieux dans tout l’édifice. On l’appelle la Forêt à cause de la quantité innombrable de bois de châtaignier dont elle est composée : elle a 356 pieds de long, 37 de large et 30 de hauteur; le tout est recouvert de 1.336 lames de plomb qui pèsent ensemble 420.240 livres !
L’histoire de l’église de Notre-Dame serait presque l’histoire de Paris. Les partis vainqueurs y ont tour à tour suspendu leurs armes et fait chanter des Te Deum pour remercier Dieu de leurs victoires. Ils ont passé : l’église est restée debout. »
Le deuxième article est paru dans L’Univers illustré du 8 juillet 1865, un peu plus d’un an après la fin des travaux qui auront duré près de deux décennies. L’Univers illustré est un ancien magazine d’actualité fondé en 1858, concurrent de L’Illustration.
« Admirable spécimen de l’art gothique construit au sein même de cette Cité qui fut le berceau de Paris, œuvre gigantesque des premiers siècles de notre monarchie, l’église Notre-Dame est celui de nos monuments qui porte en lui le plus de poésie et le plus de souvenirs. Il n’en a pas moins été fort négligé pendant bien longtemps. Mal entretenu et souvent même altéré dans son architecture pendant le XVIIIe siècle, abandonné et mutilé pendant la Révolution, restauré en partie, et très-inhabilement, au commencement de ce siècle, on peut dire qu’il a été arraché à une destruction imminente par MM. Lassus et Viollet-le-Duc, chargés depuis 1845 de sa restauration.A cette époque, en effet, la vieille basilique menaçait ruine sur bien des points. Les arcs-boutants et les piliers du choeur, très-attirés par des adjonctions faites sur la fin du règne de Louis XIV, devaient être absolument reconstruits; les terrasses, une partie des voûtes livraient de toutes parts passage aux eaux pluviales ; les couvertures étaient également dans un état déplorable; quant aux vitraux, soit en couleur, soit en grisaille, ils avaient été partout remplacés par des verres blancs.
Ce monument, qui apparaît grand comme une ville lorsqu’on en parcourt les divers étages, avait besoin d’une entière et sérieuse restauration. L’œuvre énorme ne pouvait être faite avec un goût plus éclairé, un soin plus minutieux qu’elle ne l’a été par MM. Lassus et Viollet-le-Duc, spécialement par ce dernier, resté seul à la tête des travaux depuis la mort de son regretté collaborateur. Les architectes, en présence de l’édifice délabré et mutilé, ont tenu non-seulement à lui rendre sa stabilité compromise, mais encore à lui restituer, autant que possible, sa physionomie d’autrefois. C’est ainsi qu’ils ont rétabli la gracieuse flèche démolie au commencement de ce siècle et qui ajoute si bien à l’effet de l’ensemble.
Enfin, après bien des traverses, l’œuvre de restauration est sur le point d’être achevée. Elle aura coûté neuf millions; mais est-ce trop payer la conservation d’un des chefs-d’œuvre de l’art ? Les travaux auront duré vingt ans. Il n’y a rien là non plus d’excessif quand il s’agit d’un monument que la piété de nos pères mit trois siècles à élever.
La restauration seule de la façade, dont nous donnons l’aspect actuel, a demandé plus de trois années. On y a rétabli toutes les statues qui avaient été enlevées: en avant de la grande rose, l’image de la Vierge avec deux anges agenouillés; devant chacune des ogives latérales, les figures d’Adam et d’Eve, et, le long de la galerie inférieure, les statues des vingt-sept rois de France, de Childebert à Philippe- Auguste, à qui, par parenthèse, on doit le grand portail. Au-dessus de ce portail, on va rétablir sur une plaque de bronze la naïve inscription qui y figurait autrefois :
Si tu veux savoir comme est ample,
De Notre-Dame le grand temple,
Il a dans œuvre pour le seur,
Dix et sept toises de hauteur,
Sur la largeur de vingt et quatre
Et soixante-cinq sans rabattre
A de long.
Aux tours haut montées
Trente et quatre sont bien comptées;
Le tout fondé sans pilotis,
Aussi vrai que je te le dis.
Les ouvriers achèvent en ce moment la partie inférieure du grand pignon du transept (côté nord). Il ne restera bientôt plus que certains travaux intérieurs à exécuter, lesquels sont en partie à la charge de l’église, ainsi que des travaux relatifs aux abords, tels qu’égouts, grilles, etc. On termine la décoration des chapelles, dont quelques-unes ont été restaurées par des souscriptions particulières. Plusieurs familles ont voulu aussi restaurer les monuments qui avaient été élevés dans le chœur à leurs ancêtres, archevêques de Paris. C’est ainsi que M. de Noailles vient de faire rétablir la statue du cardinal de Noailles, que M. le comte de Beaumont a fait ériger un mausolée à la mémoire de son grand-oncle, et que le marquis de Juigné a fait restituer celui de l’archevêque son parent, tandis que M. le comte de Guébriant s’occupe de relever celui du maréchal dont il porte le nom. Outre cela, un certain nombre de monuments funéraires ou commémoratifs se préparent. Ainsi, non-seulement Notre-Dame de Paris aura repris son lustre à l’extérieur, mais l’intérieur de cet édifice, qui présentait, il y a quelques années, un aspect de misère et d’abandon, verra s’accroître encore le nombre de ses beautés artistiques et de ses souvenirs historiques. »