Quand commence-t-on à rencontrer de grandes reportrices dans la presse écrite ?
Personne ne s’étonnera de constater que le grand reportage, longtemps, fut considéré comme un métier d’hommes. Il n’est que de citer quelques grands noms déjà croisés dans cette chronique comme Albert Londres, Joseph Kessel, Lucien Bodard, etc. Et pourtant des femmes ont cheminé sur ce terrain depuis le XIXè siècle avec par exemple Nelly Bly, journaliste en Pennsylvanie aux Etats-Unis qui se révéla en racontant la vie difficile des ouvrières d’une usine de conserve alimentaire. Elle réalisa seule un voyage autour du monde en 72 jours pour raconter toutes les facettes de ses rencontres.
Mais bien avant, il faut considérer George Sand comme une journaliste, même si c’est une journaliste d’opinion qui commente une actualité avant de la raconter. Ou Delphine de Girardin qui n’inventa pas le grand reportage mais la chronique en 1836, genre qui allait faire florès dans la presse écrite et est toujours en 2025 un pilier de nos journaux. Au Canada Robertine Barry fut une féministe qui utilisa la plume pour la cause des femmes et même fonda un journal Le Coin du Feu en 1892 qui fut une publication féministe militante.
Et d’ailleurs les femmes se sont très vite emparées du journalisme, elles qui n’avaient pas le droit de vote, et ce fut leur moyen de faire de la politique et de se faire entendre. Il faut citer Caroline Rémy qui signait du pseudo Séverine, cofondatrice du journal La Fronde (publication exclusivement rédigée par des femmes) en 1897, et qui défendit et popularisa « un journalisme de terrain » pour donner à voir et donner à penser. Par exemple Séverine signa une série de reportages dans les mines de Saint-Etienne où elle se focalisa sur le travail des mineurs à la suite d’un coup de grisou qui fit 113 morts dans la mine de Villeboeuf.
Il faudrait citer aux Etats-Unis Ida Bell Wells dont la vie fut profondément marquée par la ségrégation raciale. Elle fut une journaliste de la lutte contre les discriminations et éclaira sur les pratiques racistes du Klan et de tous les tenants d’un racisme institutionnel dans les Etats du sud. Grande reportrice pendant la Grande Guerre, l’anglaise Dorothy Lawrence réussit à aller sur le front, habillée en homme pour franchir les barrages. Elle publia ses reportages dans The Times et dans The World Magazine. C’est aussi le cas de May Sinclair, reportrice britannique dans la Grande Guerre qui dès septembre 1914 accompagna sur le front une équipe médicale pour raconter au plus près.
Collection Le Centre de la Presse
La liste ne sera pas exhaustive. Elles ont été nombreuses même si les hommes ont eu davantage l’avant-scène. A l’instar de Martha Gellhorn, grandes reportrices des guerres du XXè siècle que l’on a retrouvé sur la Guerre d’Espagne, sur les fronts de 39-45, sur les sites de la Guerre du Vietnam, elle publiera l’essentiel de ses grands reportages dans le magazine The Atlantic où elle travailla une trentaine d’années. Ou de Lee Miller, ex-mannequin, photographe, qui photographia les champs de bataille européens dans la foulée du Débarquement en Normandie pour le journal Life.
Les femmes se sont imposées avec le temps grandes reportrices de guerre. Surtout au XXIè siècle dans les médias audio-visuels, elles sont nombreuses sur les terrains de la Palestine, de la Syrie ou de l’Ukraine à raconter au quotidien. Elles s’appellent Maryse Burgot, Anne Nivat, Patricia Allémonière, Marine Jacquemin, Dorothée Olliéric, Catherine Jentile, Manon Loizeau, etc.
Bernard Stéphan