Le 4 octobre dernier pour le cent cinquième anniversaire (4 octobre 1919) de la fondation du journal La Montagne par Alexandre Varenne un colloque s’est tenu à l’Université Clermont Auvergne, à l’initiative de la Fondation Varenne, sur le thème suivant : « Des hommes politiques, hommes de presse régionale ». A l’instar d’Alexandre Varenne qui fut député d’Auvergne, très engagé à gauche et qui signa pendant plus d’un quart de siècle l’éditorial à la une de La Montagne. C’est Jean- Yves Vif, ex-rédacteur en chef de La Montagne, qui a proposé une analyse des éditos du fondateur de La Montagne : « Sa passion d’éditorialiste a guidé Alexandre Varenne pendant vingt-huit ans sur les chemins d’une grande liberté de ton et d’un engagement sans faille avec pour objectif final commun de travailler au bien public (…) » Il revenait à Christian Bougeard (Université de Bretagne occidentale) d’exposer en exemple la figure de René Pleven, ex-ministre du général de Gaulle, européen militant, centriste, fondateur du Petit Bleu des Côtes d’Amor, qui en fit pendant plus de quarante ans son journal dans lequel il écrivait chaque semaine un éditorial de haute volée analysant la situation politique du moment.
Anne-Laure Olivier (Professeure agrégée à Poitiers) a mis le focus sur le journal de Marseille Le Provençal et son patron emblématique Gaston Deferre. Homme politique éminent, il fut souvent ministre, député, maire de Marseille. Et il appliquait à la lettre la vieille maxime « Qui tient la presse, tient le pouvoir ». Autre époque, autres mœurs, on a là une véritable confusion des genres et des fonctions, l’homme politique corrige les pages du journal penché sur le marbre de l’imprimerie, Le Provençal « est l’exemple parfait d’une machine à propagande personnelle ».
Le professeur Vincent Flauraud (Université Clermont Auvergne) mettait l’accent sur deux hommes politiques du Cantal, opposés, Géraud Jouve et Camille Laurens. Le premier ; gaulliste de la Résistance, homme de gauche, s’appuya sur Le Journal du Cantal. Quant à Camille Laurens, vichyste, homme de la droite conservatrice, il fut l’éditorialiste dans Le Montagnard. « Deux journaux qui étaient des outils politiques au service de ces deux députés. »
Grand témoin et grand acteur, Jean-Michel Baylet, PDG de La Dépêche, journaliste lui-même et homme politique, a considéré qu’il y a toujours un équilibre à trouver mais que le journaliste et l’homme politique sont inséparables parce que l’un fait l’actualité, l’autre commente l’actualité. Alors quel engagement aujourd’hui pour un journal comme La Dépêche, le grand régional d’Occitanie, qui fut fondé par des anarchistes il y a plus de 150 ans et géré par une coopérative ouvrière à ses débuts ? Réponse de Jean-Michel Baylet : « C’est un journal engagé pour la laïcité, les valeurs de la République et l’Europe. Nous ne sommes pas un journal d’opinion, mais nous prenons position. Nous ne disons pas aux gens qui élire, mais nous appelons à voter contre le rassemblement national au nom des valeurs républicaines que nous défendons. » Une indépendance d’esprit qui rejoint ce que le PDG de La Dépêche appelle l’indépendance économique de la presse, grand défi, d’autant que les entreprises du secteur sont très fragiles, surfant sur une crête particulièrement instable. Et à l’évidence c’est bien l’indépendance économique qui assure l’indépendance éditoriale.
On aurait pu, pour prolonger le colloque, évoquer L’Echo du Centre et son édition du nord, La Marseillaise du Berry, qui fut le quotidien communiste du Limousin et du Berry et à ce titre le bras écrit du PCF local au service de ses élus. Ce journal devait disparaître au début du XXIè siècle.
Au niveau national, le journal La République française fut un média au service de Léon Gambetta et de ses idées. Après le Congrès de Tours en 1920 et la scission de la gauche, L’Humanité devint le journal du PCF alors que Le Populaire allait porter les couleurs de la SFIO. Mais c’est dans les départements que vont se multiplier les journaux hebdomadaires ou mensuels au service des deux tendances comme Le Réveil Socialiste de l’Allier pour la SFIO ou plus au sud ; Bergerac Libre pour le PCF à Bergerac en Dordogne.
Cette presse au service d’élus ou de formations politiques a désormais quasiment disparu. Les uns et les autres utilisant désormais les outils du numérique. Quant à la PQR qui naquit souvent sur des fondements politiques comme La Montagne qui était sous-titré « Grand régional des Gauches » ou La Dépêche qui était le journal du radicalisme, ils ont en tout ou parti abandonné leurs habits d’origine pour devenir une presse d’information ne prenant parti que très rarement.
Bernard Stéphan