Que reste-t-il du grand reportage dans la presse écrite quotidienne ? Il n’était pas rare, au siècle dernier, de lire jusque dans les quotidiens régionaux des grands reportages de journalistes qui rentraient du bout du monde. C’était encore moins rare dans les grands quotidiens nationaux. Certaines plumes étaient érigées au rang de vedettes dont la publication d’un grand reportage était attendue comme le récital d’un artiste. Les heures de gloire du grand reportage dans la presse écrite quotidienne sont à situer dans l’entre-deux-guerres et dans les années 1950. Probablement un des grands reporters qui a marqué l’histoire du journalisme est Albert Londres. Il se révéla durant la Grande Guerre, journaliste au Matin, il partit pour le front dont il rapporta ses premiers grands reportages. Il fut envoyé en Russie, témoin de la Révolution Bolchévique. Il alla dans les Caraïbes, témoin du bagne de la Guyane qu’il dénonça pour ses conditions de détentions inhumaines.
Connu pour ses romans, Pierre Mac Orlan fut grand reporter notamment pour Paris-Soir. Il avait raconté le Berlin de la crise du début des années 1930.
Le grand reportage de guerre avait commencé bien plutôt, pendant la guerre de Sécession américaine où les quotidiens des villes de la côte Est avaient sur place des dizaines de reporters dont des photographes pour suivre au jour le jour le conflit. Au premier rang des titres il y avait le New York Times et le New York Hérald.
Dans les années 1930 la figure de Joseph Kessel fait du grand reporter une vedette dont les récits sont attendus comme
aujourd’hui le nouvel épisode d’une série télévisée à la mode. C’est ainsi que Kessel raconte les crises avec l’arrivée de Franco à Madrid en 1939, le bout du monde, qu’il s‘agisse du marché aux esclaves en Abyssinie ou du nouvel Etat d’Israël qu’il sera le premier à visiter au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Il écrit alors pour France-Soir qui tire à plus d’un million d’exemplaires par jour avec sept éditions quotidiennes et son retour est annoncé dans les colonnes du journal qui fait déjà le teasing pour le feuilletonnage imminent de son récit.
Autre figure du métier, Lucien Bodard qui sera le reporter de l’Asie, de la Révolution chinoise, de la guerre d’Indochine et de l’extermination des peuples premiers d’Amazonie.
Aujourd’hui la presse écrite a perdu sa superbe en matière de grands reportages parce que la consommation de l’information passe souvent loin d’elle. Et pourtant… Il y a encore quelques grands reporters qui prennent le temps de regarder, de se poser, d’écouter, ils publient dans Le Monde, Le Figaro, Libération. Mais l’investissement sur ce journalisme-là coute cher, le temps passé loin de la rédaction est un investissement au long cours, la production de textes longs a été victime du concept low-cost résumé par la formule tant galvaudée par les écoles de journalisme : « écrire court pour être lu ».
Bref, les nouveaux médias et la nouvelle pensée managériale des rédactions ont tué le grand reportage. Sauf à lire quelques supports nouveaux où ce journalisme-là résiste, comme Society, Médiapart, XXI, qui offrent quelques niches où le grand reportage survit.
Bernard Stéphan