7 septembre 1935 – Le Merle blanc

Ce périodique satirique a été fondé le 10 mai 1919 par Eugène… Merle.  Cet hebdomadaire volatile « siffle et persifle le samedi » dès le premier numéro, auquel participe entre autres le journaliste et illustrateur H.-P. Gassier, co-fondateur en 1915 du célèbre Canard enchaîné (avec Maurice Maréchal), journal qu’il quitte début 1919. D’ailleurs, c’est évident les deux journaux-oiseaux se ressemblent à quelques plumes près. À noter que ce n’est pas le premier Merle blanc de l’histoire de la presse. En 1876, naissait à Lyon un journal littéraire qui portait déjà ce nom, quarante ans avant la naissance du volatile enchaîné.

Mais qui est Eugène Merle (1884-1938) ? Militant anarchiste et révolutionnaire dès le début du XXème siècle, il se fait surtout connaître comme journaliste et patron de presse. On peut citer quelques journaux auxquels il a participé ou qu’il fonde : La Sentinelle (quotidien suisse – 1902), La Guerre sociale (cofondateur en 1906 avec le socialiste Gustave Hervé et l’anarcho-syndicaliste Miguel Almeyreda), Le Bonnet rouge (cofondateur en 1913 avec Miguel Almereyda). Paris-Soir (fondateur en 1923).

Le tirage de ce journal va passer de 35.000 exemplaires en 1919 à plus de 800.000 exemplaires en 1922. En 1927, il cesse de paraître. Il reprend en février 1934. Mais ce n’est plus Eugène Merle qui s’en occupe. Parmi les journalistes, on retrouve le romancier Bernard Gervaise,  le dessinateur H.-P. Gassier et on découvre les dessins du talentueux jeune (Roland) Moisan.

« Vous avez bien fait de mourir Barbusse ». L’article principal du journal présenté ici en haut de page est signé du journaliste Pierre Scize (1894-1956), licencié deux ans plus tôt du Canard enchaîné par Maurice Maréchal pour avoir accepté la Légion d’honneur… Pierre Scize s’adresse directement à Henri Barbusse, décédé une semaine plus tôt à Moscou d’une pneumonie. Henri Barbusse (1873-1935)  écrivain, journaliste et communiste s’est fait connaître par son roman autobiographique Le Feu qui raconte avec beaucoup de réalisme son existence au front dans les premières années de la Grande Guerre.  Le roman paraît d’abord en feuilleton dans le quotidien L’Œuvre en 1916 et reçoit le prix Goncourt la même année. Pierre Scize évoque une autre œuvre : Clarté. Ce deuxième roman pacifiste et politique qui traite aussi de la Grande Guerre, a d’abord été publié en feuilleton en 1919 dans Le Populaire de Paris. Clarté sera également  le nom d’une revue d’Henri Barbusse et de Paul Vaillant-Couturier parue de 1919 à 1928.

En ce mois de septembre 1935, nous sommes à quelques jours du début de la seconde guerre entre l’Italie de Mussolini et l’Éthiopie d’Haïlé Sélassié, conflit appelé également « Campagne d’Abyssinie ». Le puissant papier de Pierre Scize s’inscrit pleinement dans ce contexte : « Vous avez bien fait de mourir Barbusse. Vous avez bien choisi votre moment. Comment l’auteur de Clarté aurait-il plus longtemps supporté les ténèbres étouffantes où nous vivons ?  Comment la plume qui dépeignit notre martyre de combattants aurait-elle pu sans se briser décrire les charniers de demain ? Vous aviez cru qu’éclairer sur sa sottise et sur l’inqualifiable barbarie de ses maîtres le peuple, enfin désabusé secouerait ses chaînes ? Non, il s’en charge avec orgueil. Il s’en pare. Il s’enivre de leur grincement. Cette Europe encore saignante de la guerre, repart sur les vieilles pistes et reniflant les charniers d’hier grogne avec un affreux appétit. Elle en reveut la chienne ! Il lui faut du cadavre. Elle en aura. ». Il termine son long article par ces mots : «  Les masques tombent. Les bobards se taisent. Les oripeaux qui cachaient la face sinistre de la guerre sont arrachés. L’homme n’a plus d’excuses, sinon sa passivité naturelle, et sa naturelle férocité, pour accepter la guerre. Après cela qu’il crève. Il ne mérite probablement pas davantage. »

P. R.

La Une. Collection Le Centre de la Presse.