La presse gratuite, média de l’échec

La récente fin de 20 minutes en version papier (il ne subsiste que sur le web) renvoie à ce que fut la presse gratuite d’information qui a vu son âge d’or au début des années 2000 avec un premier lancement en mars 2002. Cela aura été un des phénomènes de presse les plus éphémères dans la longue histoire des médias. 

Cette presse d’information a connu quelques titres emblématiques comme 20 Minutes, Direct Matin devenu CNews Matin et Métro. Ce fut une presse qui était diffusée par des porteurs ou distributeurs positionnés dans les agglomérations sur des points de passage importants comme les entrées des bouches de métro à Paris, les arrêts de tram dans des villes comme Bordeaux, Montpellier, Marseille et d’autres métropoles de l’Hexagone et dans certaines gares. Cette presse avait été précédée par le très fort développement d’une presse gratuite d’annonces distribuée directement dans les boites aux lettres par porteurs salariés. Ces supports gratuits ont longtemps été la presse de petites annonces avec de très denses rubriques immobilières, mais aussi d’achats et ventes de tous produits de particulier à particulier. 

20 Minutes du 15 mars 2002. N°1. Collection du Centre de la Presse.

Il existait en 1990 cinq cents titres de presse gratuite d’annonces commerciales en France. Certains titres basculèrent progressivement vers un produit mixte annonces et informations et notamment information-service, ce fut d’abord vrai en province avec par exemple Le Petit Solognot dans le Loir-et-Cher. C’est incontestablement le développement d’internet, l’arrivée des sites pure player d’information, le développement des réseaux sociaux et le transfert de la petite annonce sur le web et les nouveaux modes de consommation des médias sur le smartphone qui vont signer l’arrêt de mort dans un premier temps des gratuits d’annonces et dans un second temps des gratuits d’informations. C’est Metro qui le premier en 2015 a mis la clé sous la porte. En décembre 2021 c’était au tour de CNews. 20 Minutes aura été le dernier journal papier gratuit à résister avant son arrêt récent.

Le Petit Solognot du 23 juillet 2024. Collection du Centre de la Presse.

Ces gratuits d’informations ont montré, souvent avant la presse numérique, la médiocrité de l’offre d’information proposée aux lecteurs. Il s’agissait souvent d’un empilage de nouvelles brèves, souvent à caractère sensationnel, à parcourir le temps d’un trajet de métro ou d’une attente sous l’auvent d’un arrêt de tram. Cette presse n’a jamais travaillé sur le décryptage et l’analyse de l’information, elle n’en avait ni l’ambition ni les moyens. Au point d’ailleurs que c’est dans la période de la presse gratuite que le slogan « une information de qualité ça se paye » est né. De rares titres ont subsisté comme Infos63 à Clermont-Ferrand.

New Plus du 1er décembre 2006. N°0. Collection du Centre de la Presse.

À l’origine un des alibis des promoteurs de la presse gratuite était de faire revenir les jeunes vers une prise en mains du journal. Bilan : échec complet. Mais probablement a-t-elle participé à affaiblir la presse traditionnelle, notamment la PQR en lui siphonnant une partie de ses revenus publicitaires et d’annonces. Elle a par ailleurs diffusé l’idée que l’information pouvait être low-cost, partielle et gratuite, autant de grenades dégoupillées jetées sous la table des rédactions des médias qui œuvrent pour une information de qualité. Car avant de livrer de l’information il faut la collecter, la trier, l’analyser, en vérifier les données, éditer et corriger les textes. Tout cela est nécessaire et tout cela coûte cher. Donc il n’y a pas d’information gratuite ! Derrière l’information il y a des métiers : journalistes, correspondants de presse, pigistes, monteurs, correcteurs, imprimeurs, diffuseurs, kiosquiers.

Metro du 18 février 2002. N°1. Collection Le Centre de la Presse.

Au bilan, cette parenthèse aura d’abord été du boniment publicitaire pour faire croire que l’info était gratuite, que l’info c’était du rien enrobé dans des annonces publicitaires. Au point d’ailleurs, hélas, que certains médias contaminés par le langage publicitaire qui est devenu dominant, avec la complicité de cabinets de conseil aux juteux contrats, se sont mis à appeler les lecteurs « des clients ». On voit bien la dérive qui avait commencé par un faux alibi de générosité : la gratuité. 

Bernard Stéphan