Oui, j’ai retrouvé l’homme qui a donné le nom à notre association : Le Centre de la Presse. Oh soyons honnête, je ne l’ai pas retrouvé sur une île grecque, ou à Las Vegas ou au dans un café d’un petit village d’Andalousie. Tout cela aurait été toutefois possible, car l’homme est voyageur, un grand voyageur. Voilier, moto, voiture, camping-car, le principal est de bouger, de rejoindre l’horizon.
Et l’homme ne voyage pas en solitaire ; il joue en double avec sa compagne Annie, toujours prête à prendre le large avec lui.
Son parcours professionnel est également un beau périple dans le monde… de la presse. Il raconte : » Originaire de Clermont-Ferrand, je suis entré au quotidien La Montagne en 1970 comme compositeur-typographe. A cette époque, c’est encore le plomb. » Il poursuit en souriant : « Je suis l’un des témoins vivants de l’extraordinaire mutation de la technologie de la fabrication de la presse qui n’avait quasiment pas changé » depuis plus d’un siècle, voire sur certains aspects depuis le milieu du XVème siècle, avec Gutenberg. Il explique : « Dans les années 70, le journal était encore composé au plomb (1). Les linotypes (2) n’étant plus fabriquées, les imprimeries commençaient à manquer de pièces détachées. J’ai été chargé alors, avec trois ouvriers du Livre, d’étudier comment fabriquer le quotidien en utilisant une nouvelle technique de fabrication : la photocomposition (3). »
Il poursuit : « Après avoir formé des équipes de La Montagne, du Populaire du Centre, du Journal du Centre et du Berry Républicain, qui étaient à l’époque les seuls quotidiens du Groupe Centre-France, j’ai été nommé, en 1982, directeur technique du Journal du Centre, à Nevers, où j’ai participé à l’installation de la nouvelle rotative offset, ainsi qu‘à celle du Berry Républicain, à Saint-Germain-du-Puy. L’abandon du « plomb », l’arrivée de l’informatique ainsi que l’impression offset furent une révolution dans la presse. »
Sa carrière se poursuit et évolue : « En 1985, je suis nommé directeur du Berry républicain, à Bourges. Puis s’ajoute ensuite la direction du Journal du Centre en 1986. » Il garde la direction de ces deux quotidiens régionaux jusqu’en 2007, année de sa retraite, où il retrouve ses racines auvergnates. Mais il a dans ses gènes le goût du voyage. Tel Ulysse, il quitte souvent la terre ferme du Puy-de-Dôme pour s’en aller naviguer sur son voilier avec Annie, sa conjointe, à la découverte des merveilleuses îles grecques.
Je me souviens. Employé alors au groupe Centre France, et en particulier au Berry républicain (1987-2001), puis au Journal du Centre (2002-2005), j’ai le souvenir de cette époque où Guy Dugne dirigeait ces deux périodiques. Il a su imposer son style face à un syndicat du Livre qui va peu à peu perdre de sa puissance et face à des rédactions toujours soucieuses de garder leurs évidentes prérogatives, de protéger la liberté de la presse et leur nécessaire déontologie. La crise de la presse était déjà là, surtout à partir de la première guerre du Golfe (1991). Avec le développement d’Internet (fin des années 90) la crise et les mutations technologiques vont même s’accélérer. Mais malgré cette crise sous-jacente et sournoise, les journaux semblaient encore vivre économiquement pas trop mal. Le matelas du passé était sans doute encore bien épais et confortable. Alors que dans le monde industriel, dans la sidérurgie ou l’automobile par exemple, on vivait depuis les années 70 des crises profondes à répétition, la presse semblait Insouciante diront certains, ou en absence de visibilité et de solutions sur l’avenir diront d’autres. Mais avec le XXIème siècle, la presse ne va pas échapper plus longtemps aux restructurations, aux économies d’échelle et aux plans sociaux. Le centre d’impression du Journal du Centre va fermer au début des années 2000, celui du Berry républicain, moins d’une dizaine d’années plus tard. Le nombre d’employés va fléchir, les chiffres d’affaires publicitaires et de vente vont fondre, comme le nombre d’abonnés… On est dans une autre ère. Jeu de maux : la presse papier a toujours aujourd’hui du plomb dans l’aile.
Je me souviens. Un jour de 2006, Guy Dugne me téléphone. A cette époque, et depuis un an, je travaillais au service marketing de La Montagne à Clermont-Ferrand. Il me dit : « Je voudrais te faire un cadeau, enfin plutôt au Centre de la Presse. Nous allons bientôt fermer le centre d’impression de Saint-Germain-du-Puy, je vous offre la linotype, » Beau cadeau en effet. Il finit en souriant : « Tu n’as plus qu’à venir la chercher »… Euh oui, un grand merci… 1,5 tonne la machine ! Les mois ont passé. En 2009, nous avons fait appel à un transporteur pour déménager la linotype de Saint-Germain-du-Puy à Maisonnais. Elle trône aujourd’hui dans un des locaux de l’association et sera bientôt remise en valeur et à nouveau visible par les visiteurs.
Je me souviens. Il y a plus de trente ans, le 30 octobre 1993, j’avais invité Guy Dugne à Touchay à l’assemblée générale constitutive d’une association consacrée « au patrimoine que représente la presse. » Le réunion se déroula dans la mairie du village. Au moment de décider du nom de l’association, Guy Dugne suggère : Le Centre de la Presse. Parfait. L’assemblée à l’unanimité approuve. Que vive Le Centre de la Presse !
« Mais Pascal, tu ne nous as toujours pas dit, où tu as retrouvé Guy Dugne ? ». Ah oui, c’est vrai. C’est le moment de lever le voile. Nous nous sommes retrouvés tout simplement dans un restaurant dans la Creuse, près de Bourganeuf, pour notre traditionnel et annuel déjeuner-réunion des « Amis du jeudi » avec d’autres hommes de presse, retraités ou actifs. Un ordre du jour chargé, comme d’habitude, avec bien sûr une belle place aux souvenirs, aux témoignages d’une belle histoire de la presse, qui malgré tout continue de s’écrire, comme une odyssée qui n’en finit pas. Heureux qui, comme Guy Dugne, a fait un beau voyage…
Pascal Roblin
1 – La composition au plomb est le principe fondamental qui a régi l’imprimerie depuis Gutenberg (vers 1452-1454), basé sur l’utilisation des caractères mobiles en alliage de plomb, d’antimoine et d’étain.
2 – La linotype est une machine au plomb, combinaison de machines à écrire et de micro-fonderies, créée en 1885 par l’américain d’origine allemande, Ottmar Mergenthaler, machine chargée de produire la forme imprimante d’une ligne de texte d’un seul tenant. Avant l’utilisation de cette machine, la composition des lignes de textes se faisait lettre par lettre…
3 – La photocomposition est « un procédé de composition de lignes de texte en qualité typographique par un principe photographique, et non, comme depuis les débuts de l’imprimerie, par des caractères en plomb assemblés manuellement ou mécaniquement. » Avec l’informatique ce procédé a été abandonné.