Voici un phénomène qui se passe aux États-Unis et qui a de quoi nous inquiéter car très souvent nous importons le pire d’Outre-Atlantique. Phénomène qui d’ailleurs a commencé en France puisqu’il s‘agit de la mort des journaux locaux. Cette tendance américaine est massive ; en 2023 ce sont en moyenne 2,5 journaux qui ont fermé chaque semaine.
Ces vingt dernières années un quart des journaux locaux américains ont disparu. Au point d’ailleurs qu’aux États-Unis dans de nombreux comtés on parle des « news deserts » ou « déserts de l’information ». Le pays est divisé en 3.143 comtés, deux cents d’entre eux n’ont plus de journaux locaux et dans 1.500 il n’y a qu’un seul titre. À cet égard la France a suivi ce chemin depuis longtemps en organisant le partage des territoires entre les groupes de presse. C’est ainsi que le groupe Sud-Ouest par exemple a partagé le territoire avec La Dépêche et chacun chez soi. En région Centre Val de Loire, en Berry, le groupe NRCO s’est retiré en 2009 du département du Cher laissant seul le groupe Centre-France-La Montagne avec Le Berry républicain, lequel s’est retiré de l’Indre concédant le monopole dans ce département à la NRCO.
Aux États-Unis le phénomène correspond à une véritable crise du secteur avec la fermeture de 2 500 journaux depuis 2005 et la suppression de 43.000 postes de journalistes. La réalité des journaux survivants n’est guère brillante puisque nombreux sont les titres hebdomadaires qui appartiennent à des groupes qui mutualisent les contenus, réduisent le nombre de journalistes drastiquement, réduisent la pagination et publient de la brève pratique qui peut s’écrire simplement sans journaliste et bientôt probablement avec des formes robotisées.
À ce jour le modèle français n’est guère plus encourageant. Non seulement le partage du territoire a entraîné des situations de monopole avec la dominante du modèle « un seul journal par territoire ». Mais plus grave est l’appauvrissement des contenus locaux pour deux raisons : la baisse de la pagination (toujours au nom de l’objectif de l’allègement des coûts) et la réduction massive du nombre de correspondants. C’est un truisme que d’écrire que la presse locale trouve son carburant avec son maillage du territoire grâce à ses correspondants. Quasiment tous les quotidiens régionaux, ces vingt dernières années, ont réduit la surface de leurs locaux, fermé les petites agences, réduit le nombre des correspondants au détriment de la couverture de l’actualité, regroupé des éditions (par exemple Sud-Ouest Dordogne est passé de deux éditions à une seule, idem pour La Montagne en Corrèze, pour Nice Matin réduction en cours du nombre d’éditions dans le Var et dans les Alpes-Maritimes).
Ainsi avance aussi chez nous le spectre des « déserts de l’information » par absence de rubriques locales faute de correspondants. Ajoutons la fermeture accélérée des points de ventes des journaux et on voit bien qu’on est sur la pente glissante du modèle américain.
Sauf si… Aux Etats-Unis des collectifs de citoyens se réveillent, s’organisent, veulent relancer des titres grâce aux financements de fondations et de grosses associations. Les plus grandes fondations du pays conjuguent leurs actions dans le projet Press Forward pour « faire renaître la presse locale « et « refaire du journalisme de proximité une force de cohésion sociale ». Tout se passe bien sûr hors des vieilles structures de la presse dominée par les financiers. Il arrive ainsi que le meilleur du modèle américain vienne en France. Est-ce l’étape suivante qu’il faut espérer comme salutaire pour notre presse locale ?…
Bernard Stéphan