À l’occasion de la sortie du film L’Abbé Pierre – Une Vie de Combats le 8 novembre dernier au cinéma, avec Benjamin Lavernhe dans le rôle-titre, retour sur la vie exceptionnelle du fondateur d’Emmaüs.
Au commencement, l’abbé Pierre se nomme en réalité Henri Grouès. Né en 1912 dans une famille de négociants en soie lyonnaise, il grandit dans une famille aisée, mais très vite, il accompagne son père chaque dimanche matin pour s’occuper des sans-abris et mendiants. À l’âge de 12 ans, il accompagne son père à la confrérie séculaire des hospitaliers veilleurs en se faisant coiffeur-barbier pour les pauvres le dimanche.
En parallèle de ses études à l’internat Saint-Joseph (devenu lycée Saint-Marc, à Lyon), il est scout de France, où il est surnommé « Castor méditatif ».
Sa vocation religieuse l’a conduit à devenir prêtre catholique, mais elle ne s’est pas arrêtée aux préceptes religieux traditionnels. Après la Seconde guerre mondiale, qui l’a profondément marquée, notamment par la détresse des sans-abri et des personnes vivant dans la misère, il crée le mouvement Emmaüs en 1949.
Inspiré par la parole évangélique « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait », il ouvre un premier centre d’accueil pour les sans-abri à Neuilly-Plaisance, en région parisienne. Petit à petit, les communautés Emmaüs se développent partout en France. En plus d’offrir un abri et de la nourriture, ces dernières permettent aux plus précaires de trouver un travail et de se réinsérer dans la société.
Le cri de détresse de l’hiver 1954 ou “l’insurrection de la bonté”
L’hiver 1954 marque un tournant dans la vie de l’abbé Pierre. Cette année-là, la France est particulièrement frappée par une vague de froid qui tue de nombreux sans-abri. Le 1er février 1954, les auditeurs de Radio-Luxembourg (aujourd’hui RTL) entendent ce qui deviendra le célèbre « Appel de l’abbé Pierre ».
« Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée…
Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant tant d’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent !
Écoutez-moi : en trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer : l’un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève ; l’autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l’on lise sous ce titre « centre fraternel de dépannage », ces simples mots : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime ».
La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France. Merci ! Chacun de nous peut venir en aide aux « sans abri ». Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : cinq mille couvertures, trois cents grandes tentes américaines, deux cents poêles catalytiques.
Déposez-les vite à l’hôtel Rochester, 92, rue de la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève. Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris.
Merci !”
En quelques heures, cet appel génère une grande mobilisation de la population et a démontré l’impact de la solidarité collective pour répondre aux besoins des plus vulnérables.
Le lendemain, la presse titre sur « l’insurrection de la bonté ». L’appel rapporte 500 millions de francs en dons dont 2 millions par Charlie Chaplin qui dit à cette occasion : « Je ne les donne pas, je les rends. Ils appartiennent au vagabond que j’ai été et que j’ai incarné. »
Face à un tel engouement, le standard de la radio est submergé d’appels et de courriers, si bien qu’il faudra des semaines pour trier les dons.
Un combat pour des logements plus décents
Mais l’Abbé Pierre n’a pas seulement lutté contre l’absence de logement, mais aussi pour des logements plus décents. En dénonçant la spéculation immobilière, les conditions de vie insalubres et les expulsions brutales, il a aussi contribué à la prise de conscience de la nécessité de politiques publiques en faveur du logement social.
Son plaidoyer en faveur des droits de l’homme et de la justice sociale l’a conduit à s’engager dans des causes internationales. Il a été un fervent défenseur des droits des réfugiés et a œuvré pour atténuer les souffrances dans des zones de conflit, contribuant ainsi à faire de lui une figure respectée à l’échelle mondiale.
Un héritage qui perdure
Depuis la disparition de l’abbé Pierre le 22 janvier 2007 à l’âge de 94 ans, le mouvement Emmaüs continue son action en faveur des plus démunis. Les engagements de l’abbé Pierre pour la justice sociale sont un témoignage puissant de ce que l’individu peut accomplir lorsqu’il se dresse contre l’injustice et la misère.
Elisa Humann