En ces temps d’inflation, Le Petit journal supplément illustré du 8 février 1920 vous donne quelques conseils afin de vous aider à lutter contre la vie chère. Cet exemplaire provient évidemment des collections du Centre de la Presse.
« Nous exposions dans notre dernier numéro les principales causes de la vie chère.
« Indiquez-nous donc maintenant les remèdes » nous disent quelques lecteurs.
Les remèdes ?… Trop de gens, asservis à un fatalisme aveugle, s’ils s’imaginent qu’il n’en existe pas. Ils se trompent. Les remèdes à la vie chère existent. Il suffit seulement d’avoir le courage de les appliquer. Ces remèdes sont de deux sortes : ceux qui dépendent des pouvoirs publics ; ceux qui dépendent de nous-mêmes. […]
Les meilleures lois, a dit je ne sais plus quel philosophe, sont celles qu’on se fait à soi-même. Or, le véritable remède à la vie chère est là : dans les lois que chacun de nous devrait se faire à lui-même ; dans les restrictions que nous devrions nous imposer volontairement. Nous avons, sous une forme pittoresque, indiqué, dans notre grande page en couleurs, quelques-unes de ces restrictions, quelques-unes de ces précautions, de ces menues mesures contre la vie chère qui, prises en masse, acceptées par la volonté de tous, réussiraient à coup sûr là où les lois d’État sont destinées à échouer éternellement.
Et, d’abord, se priver de tout ce qui n’est pas absolument nécessaire à la vie. L’apéritif n’est pas indispensable, il est même souvent nocif. Pourquoi prenez-vous l’apéritif – l’apéritif à un franc, et pourquoi en prenez-vous deux, trois, quatre ou cinq par jour ?
Quelle joie vous donne le tabac ?… Aucune. Il vous fait du mal. Et l’Etat-mercanti vous vend sa détestable marchandise à un prix exorbitant qui en représente deux cents fois la valeur. Le tabac est aussi funeste à votre bourse qu’à votre santé. Pourquoi ne cessez-vous pas de fumer ? Ce n’est pas très difficile. Il suffit d’un peu d’énergie les premiers jours.
Le pain est cher ? Pourquoi le gaspillez-vous quelquefois ? Dans les restaurants, les clients en gâchent des quantités ; on ne devrait le servir que par petits morceaux. Pourquoi buvez-vous pur un vin qu’on vous fait payer si cher ? Et combien de litres, à des prix énormes, ne consommez-vous pas ! Pourquoi ne vous contentez-vous pas d’un bon plat à votre repas ? Vous n’en digéreriez que mieux.
Les déplacements en chemin de fer sont hors de prix. Supprimez donc tout voyage de pur agrément. Privez-vous aussi de tout plaisir superflu. Vous serez bien avancé d’avoir fréquenté les « dancings » si c’est pour danser ensuite devant le buffet.
Et n’ayez point de honte à n’être plus aussi élégant qu’autrefois. Portez du linge souple qu’on peut laver à la maison. Faites ressemeler vos chaussures : vous paierez encore un ressemelage aussi cher qu’une paire de souliers avant la guerre. Faites mettre des fonds à vos pantalons et retourner vos pardessus. Les draps d’avant-guerre étaient excellents : l’envers n’est pas plus vilain que l’endroit. Pour soixante à soixante-dix francs, vous aurez un pardessus neuf, aussi beau que celui dont votre tailleur vous demanderait 500 francs.
Ne rougissez pas de protester publiquement contre la cherté des choses et l’âpreté des marchands. Ne croyez pas qu’il y va de votre dignité de payer cher et de ne rien dire. Si vous vous taisez quand on vous exploite, vous ne passerez pas pour un homme bien élevé, vous passerez pour une « poire ». On se moquera de vous après vous avoir volé. Au contraire, protestez bien haut et refusez d’acheter. Soyez sûr que si, à cent reprises, dans une journée, un commerçant s’entendait répondre par ses clients : C’est trop cher, je n’en veux pas ! », la marchandise ne tarderait pas à baisser de prix.
Ayez le courage de vous en priver un jour, deux jours, une semaine ; vous l’aurez ensuite à bon marché. […]
Sachons nous restreindre, ne pas gaspiller notre bien et résister à l’âpreté d’autrui. Rappelons-nous qu’il n’y a qu’une loi qui régit le coût de l’existence : la loi de l’offre et de la demande. Refusons d’acheter si l’on nous demande trop. Privons-nous s’il le faut. C’est à ce seul prix que la vie baissera. »
Article signé d’Ernest LAUT.