La presse est née pour porter et diffuser des idées, mais elle a triché pour toucher le plus grand nombre en racontant des histoires et au premier chef elle a mis en scène les faits divers comme produit d’appel. Le premier d’entre eux qui inaugure la longue série et qui est pour la première fois traité comme tel, c’est l’affaire de « La bête du Gévaudan » à partir du 30 juin 1754 avec des publications épisodiques, dans des gazettes et déclinées en illustrés et en livrets longtemps diffusés par les colporteurs. Mais la recension d’un tel fait n’est pas encore appelée « fait divers ». Ce n’est qu’en 1838 que cette appellation apparait et qu’on peut même commencer à parler de rubrique de faits divers.
Les journaux au moment du basculement vers une presse populaire, fin du XIXè siècle, vont profiter des grands faits divers pour faire exploser leurs tirages. C’est ainsi par exemple que Le Petit Journal, en 1869, traite opportunément de l’affaire Troppmann, meurtre de toute une famille par un escroc à Pantin, et qu’il voit ses ventes grimper de plusieurs centaines de milliers d’exemplaires en quelques semaines pour dépasser les 500.000 exemplaires vendus.
Les faits divers deviennent une telle mine pour la presse du XIXè siècle que les grands romanciers s’en emparent pour construire la trame de leurs romans. C’est ainsi que Zola s’en inspire pour L’Assommoir, de même Balzac pour Madame Bovary. Et d’ailleurs, dans les journaux les feuilletonistes, pour tenir en haleine les lecteurs et les retrouver le lendemain, déclinent des histoires à rebondissements dignes de faits divers ou inspirées par cette actualité.
Une loi libérale du seconde Empire en 1868 autorisait quiconque à créer un journal sans autorisation préalable. C’est ainsi que naquirent beaucoup de feuilles ou de doubles feuilles, vendues un sou, presse populaire par excellence, qui fut portée par deux filons : les feuilletons et les faits divers. Suite logique du fait divers, on voit apparaitre les chroniques judiciaires, comptes-rendus des débats des cours d’assises qui ne cachent rien des détails et des échanges dans le prétoire. Avec ces chroniques apparaissent les dessinateurs de presses, croqueurs des portraits d’audiences.
La période 1890-1914 constitue l’âge d’or de la presse quotidienne avec de très gros tirages portés par le prix bas des journaux et à l’accès du plus grand nombre à la lecture grâce à l’école obligatoire. En 1870 Le Petit Journal diffuse chaque jour 480.000 exemplaires au moins. A la veille de la Grande Guerre Le Petit Parisien diffuse à 1,4 millions d’exemplaires ! Mais pour tenir cette diffusion la plupart des journaux vont développer le créneau des faits divers, avec rebondissements, annonces de suite et illustrations par des dessinateurs de talent. Ainsi le supplément du dimanche du Petit Journal a sa première page entièrement consacrée à l’illustration d’un fait divers souvent particulièrement tragique.
Il y aura même une presse spécialisée dans les faits divers qui va naitre à la fin du XIXè siècle et au début du XXè avec des titres emblématiques. C’est ainsi qu’est fondé en 1914 Détective. Dans l’Entre-deux-Guerres arrivent aussi en kiosques Drames, Police et reportage, Réalisme. Seul Détective survivra.
Avec la fin du XXè siècle le genre faits divers est largement repris et souvent traité au-delà du fait pour montrer qu’il est un révélateur de la société. C’est tout le travail conduit par le journal Libération pendant plusieurs décennies. La matière première est bien le fait divers quant le traitement au nom de la mise en perspective et de l’analyse s’enrobe du label « fait de société ». Ce qu’à largement repris ces dernières années la télévision et nombre de chaînes faisant de cette actu son fonds de commerce.
Bernard Stéphan