À quelques kilomètres de Maisonnais et du Châtelet, il y a le bourg de Rezay, 200 habitants, « capitale des sorciers », terre du conteur Jean-Louis Boncoeur. On trouve au cœur du village, au fond d’une petite cour, un ancien bar-restaurant abandonné, puis repris, et abandonné à nouveau, mais repris récemment par l’association dynamique ReNousZayVous. Ils ont transformé l’établissement en bar associatif et lui ont donné un nouveau nom : Ô R’zayo, dont l’objectif est de créer du lien social. Et ça marche ! Les actions et activités sont nombreuses et variées. Parmi elles, il y a des soirées spectacles autour d’un thème, avec en final, comme dans les albums d’Astérix, un repas en commun, à la bonne franquette. Ce soir-là, pas de sangliers, mais des moules-frites.
Ce soir-là l’animation peut se résumer en cinq lettres : R.E.I.S.E.R. Non, ce n’est pas un verbe du premier groupe. C’est le nom du célèbre dessinateur de presse, décédé en 1983 à l’âge de 42 ans. Jean-Marc de son prénom. La Compagnie La Femme blanche (de Neuvy Saint-Sépulcre dans l’Indre) lui a redonné la parole le temps d’un soir. Reiser à Rezay, ça vaut une affiche. Nathalie Taïana, Karine Sauter, Marc Aubert et William Jones nous ont offert, avec force et talent, une lecture vivante à plusieurs voix d’une sélection de textes issus des albums de Reiser, parus il y a plus de quarante ans. Deux heures d’humour cru, sans retenue, de propos populaires volontairement grossiers, dans lesquels le sexe fricote avec la lutte des classes. Ça sent l’alcool, le foutre et la dérision. Ça monte en permanence au second degré, voire plus haut encore. Derrière la parole brute, derrière la provocation assumée, il y a souvent du sens et une invitation à la réflexion. Ça percute la morale des biens pensants et des puritains. Et rien que pour ça, ça vaut le détour.
Extraits audibles par toutes les oreilles (ou visibles par tous les yeux). En voilà un premier :
- Dis-donc Sarah… À l’école quand on nous tapait sur la tête en nous traitant de sales juifs… t’étais avec moi ?
- Bah oui, j’étais avec toi !
- Dis donc Sarah, Quand on a été embarqués à la grande rafle du Vel d’Hiv… T’étais avec moi ?
- Bien sûr que j’étais avec toi.
- Et à Buchenwald, on était bien ensemble ?
- Évidemment qu’on était ensemble
- Dis donc Sarah, quand on s’est échappés, qu’on a été repris dans la neige par les SS… t’étais bien avec moi ?
- Oui, oui, j’étais avec toi ! Tu le sais bien, alors pourquoi tu me réveilles à chaque fois pour me le demander ?
- Ben… Je me demande si tu ne me portes pas la poisse…
En voilà un autre :
- Où est le bon temps où l’ouvrier français buvait sept litres de vin par jour ? Sept jour sur sept. Faisait sept gosses à leur femme. Et jamais de cure de désintoxication. Autrefois, l’ouvrier était français et buvait français. Aujourd’hui, l’ouvrier est étranger et boit étranger. L’ouvrier français veut devenir cadre. Il boit un litre de vin par semaine ! Et du Beaujolais ! Z’en ont plein la gueule de leur Beaujolais. Boisson de pédés !!! Et il fait un gosse dans toute sa vie . Ah elle est belle la France ! Même les ivrognes n’ont plus la foi. On vend le gros rouge en paquets, comme les nouilles… Ça lui enlève tout son charme. On ne mange pas sept paquets de nouilles par jour…
Allez encore un autre :
- Heureusement qu’il y a des cons comme nous qui mangeons de plus en plus de viande. Si bien qu’un jour, les éleveurs ne pourront plus fournir de viande animale. On produira de la viande artificielle sans tuer des bêtes.
- Grâce à nous, gros cons, qui avons ingurgité des millions de tonnes de viande industrielle sans sourciller.
- En l’an 2000, plus aucune bête, petite ou grosse, ne sera tuée pour être mangée. Et ça on ne le devra pas aux amoureux des mets authentiques, à saveur vigoureuse, aux produits du terroir, aux plats nobles. On le devra à ceux qui ont bâfré des mets sans saveur à s’en faire péter la santé.
Un petit dernier pour la route :
- J’en ai marre d’être un usager ! Usager… quel vilain mot ! Je veux être un client et qu’on soit aussi aimable dans le métro que dans une boutique. J’en ai marre d’être un patient je veux être un client. Un client, vous entendez ? Client ! Un patient paie pour être soigné patiemment… Un client pour être guéri ! Vous saisissez la nuance, Docteur ? Je ne veux pas être un administré… Je veux être un client de la police. Je ne paie pas la police pour qu’elle m’emmerde, mais pour qu’elle me soit utile. Voire même agréable… Par exemple, en arrêtant tous les types qui roulent plus vite que moi sur l’autoroute… Je ne veux pas être croyant. Je veux être client. Je vous donne du fric pour que j’aille au paradis plus tard. je vous paie priez pour moi. Et qu’on ne m’emmerde pas pour assister à des messes, faire des pénitences, etc… Ah ! N’oubliez jamais… Un croyant peut se tromper, se fourvoyer… Un client a toujours raison ! Je ne veux pas être un contribuable ! D’abord, dans contribuable, il y a con ! Je préfère être un client de l’État. Je paie des impôts ! En retour, j’en attend une foule de services efficaces !… Et aimables ! Ah, je ne veux pas être citoyen non plus. Je veux être client d’un pays et en changer quand il a cessé de me plaire. Un citoyen est roulé par son député. Un citoyen obéit aux lois. Un citoyen se fait trouer la paillasse au champ d’honneur… Alors que le client est roi !
Au Centre de la Presse, on possède les magazines Pilote, Hara-Kiri ou Charlie Hebdo dans lesquels Reiser a sévi. Si Reiser est venu passer une soirée virtuelle à Rezay, sachez que ses œuvres parues dans la presse, devraient, elles, passer de longues années sur les rayonnages du Châtelet. À consommer sans modération.
Finissons par une anecdote. Reiser meurt le 5 novembre 1983 à Paris. C’est la cancer qui l’a tué. Lors de son enterrement au cimetière de Montparnasse à Paris, l’équipe d’Hara-Kiri dépose sur sa tombe une gerbe sur laquelle il est écrit : « De la part de Hara Kiri, en vente partout. »
Pascal Roblin