Les découvertes se suivent au Centre de la Presse, celle-ci touche l’histoire d’une relation entre la photographie et la presse…
Depuis plus d’un siècle, la photographie a une place conséquente dans nos périodiques favoris. Que seraient nos revues et journaux sans les photos ? Même un quotidien comme Le Monde, qui comme son ancêtre Le Temps, se refusait à ouvrir sa Une à la photographie, a fini par craquer en publiant le 8 janvier 1996, en première page sur quatre colonnes, une photo de l’ancien président François Mitterrand, le lendemain de son décès.
Mais pourtant la période sans photographies de l’histoire de la presse est plus longue que celle avec. L’arrivée de la photographie dans nos publications est finalement assez récente. Relativement. Explications.
La naissance aux forceps de la photographie date d’environ deux siècles. Elle est l’œuvre de deux hommes. D’abord Nicéphore Niépce (1765-1833), puis Louis Daguerre (1787-1851) avec qui il va s’associer jusqu’à sa mort. En 1839, les photographies s’appellent d’ailleurs des daguerréotypes.
Mais les photos ne vont pas pour autant se retrouver dans les journaux dès cette période-là. La photographie va être utilisée d’abord indirectement pour améliorer la qualité des dessins, pour faciliter le travail des graveurs. Le 26 août 1843, le nouveau magazine L’Illustration publie une gravure sur bois, un dessin quelque peu banal du fort Saint-Jean d’Ulloz à Veracruz au Mexique. Pourtant cette image est un évènement en lui-même : en effet pour la première fois dans l’histoire de la presse, on peut lire dans la légende : « d’après une vue prise au daguerréotype ». La photographie entre alors par la petite porte.
Il faut dire que les dessinateurs et les graveurs voient sans aucun doute d’un très mauvais œil l’arrivée de cette technique concurrente, « L’instrument-miroir » comme certains l’appellent alors.. Ils comprennent que leur métier est en grand danger. Les caricaturistes brocardent cette nouvelle manière de reproduire le réel, et tout particulièrement le grand maître de la caricature, le dénommé Honoré Daumier.
Les années passent, la qualité technique des photographies progresse. Des hommes comme Nadar prouvent en peu de temps, grâce à leur génie, que la photographie peut être un nouvel art. Mais on ne trouve toujours pas la manière de reproduire des photos directement dans le journal. Alors parfois on biaise, on vient coller des photos sur la page blanche d’une revue. Mais ce n’est pas encore çà !
Par contre sur les gravures, la mention « d’après photographie » est quasi générale. Il est vrai que cela donne au dessin une précision remarquable, un réalisme parfois époustouflant.
À lire les historiens de la photographie, il faut attendre la parution d’une image hybride, une sorte de dessin-photo retouché d’une garde barrière à la Une de L’Illustration du 25 juillet 1891 pour assister à la grande entrée de la photographie dans la presse. Il y aurait un avant et un après cette image d’Ernest Clair-Guyot (1860-1938).
Et bien je ne suis pas d’accord. Le grand pas a été franchi six ans plus tôt dans un magazine concurrent. Nous avons retrouvé dans les collections du Centre de la Presse cette (possible) véritable première photo de presse. C’est par hasard, il y a peu de temps, en tournant les pages du volume relié du premier semestre 1885 du Monde illustré (exemplaire du 6 juin 1885) que nous sommes tombés sur ce document extraordinaire et pas n’importe quelle photographie : le catafalque de Victor Hugo sous l’Arc de Triomphe de Paris, la veille de ses funérailles nationales, événement qui va rassembler près de trois millions de Français dans les rues de la capitale.
Cette illustration n’est pas une gravure, mais bien une photo reproduite. Et d’ailleurs la légende sous la photo le confirme : « Nous appelons l’attention de nos lecteurs sur cette très curieuse gravure exécutée par les ateliers de la Société Générale d’Applications Photographiques (SGAP) représentant l’Arc de Triomphe dans la journée du 31 mai, et qui marque un progrès extraordinaire dans l’art des reproductions photographiques. Grâce à un très beau cliché instantané de M. Lagraine, photographe dont M. Henri Regnault avait fait son compagnon de voyage en Espagne et au Maroc, nous avons pu obtenir un nouveau cliché typographique, qui reproduit le premier fidèlement. C’est enfin la photographie devenue imprimable, ce que l’on cherche depuis si longtemps. »
Tout est dit. Pourquoi messieurs les historiens de la photographie, et sauf erreur de ma part, ne faites vous pas référence à cette image dans vos travaux ? Un oubli ?
Dans la décennie qui suit, la photographie de presse va peu à peu s’imposer, prendre une place de plus en plus importante entre les colonnes, réduire la place des textes, devenir un grand témoin, plus ou moins fiable, plus ou moins manipulée, de l’actualité, des guerres, de tout ce qui fait bouger les hommes et la planète. Parfois, la photographie va se suffir à elle-même, pas de texte, une simple légende. Mais souvent retouchée, recadrée elle va, quelquefois, tromper les peuples en altérant volontairement la réalité qu’elle est censée montrer. Et dans tous les cas, elle va devenir omniprésente dans nos journaux, nos magazines et également aujourd’hui dans nos périodiques en ligne.
Dans les années 1960, Jean Cau, grand reporter à Paris-Match, a cherché à travers un slogan devenu publicitaire à unir les deux composantes principales de la presse, le texte et l’image photographique : « le poids des mots, le choc des photos ». Un beau résumé.
Finissons ce propos par une certitude : pour la photographie de presse, que de chemin parcouru en deux siècles…
Pascal Roblin
Pour en savoir + : « L’Illustration photographique – Naissance du spectacle de l’information 1843-1914 » une thèse réalisée par Thierry Gervais présentée en 2007 à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS). Entièrement en ligne. 499 pages.