Nous faisons de temps à autre de belles découvertes dans nos collections. En voici une que nous vous partageons. Elle concerne la revue La Baïonnette, lancée le 23 janvier 1915 en pleine Grande Guerre, sous le premier titre de : À la baïonnette. Son fondateur est le célèbre dessinateur et caricaturiste Henriot, qui par ailleurs œuvrait régulièrement dans le magazine L’Illustration. Nous possédons une cinquantaine de numéros de La Baïonnette, dont l’existence va s’achever en 1920 quelques mois après le traité de Versailles.
En parcourant le numéro 65 du 28 septembre 1916, on découvre sur la der (dernière page) un dessin portant la signature suivante : « Pière Colombier – Belgique -16 ».
Cet homme dont le vrai nom est Pierre Colombier, né en 1896 à Compiègne, n’est pas connu pour ses dessins. Sur Wikipédia, seule sa carrière de cinéaste prolifique est évoquée. Il a à son actif trente-huit films réalisés entre 1920 et 1939.
Mais regardez bien son dessin complet ci-dessous. Son graphisme ne vous fait-il pas penser à un autre dessinateur bien plus connu que lui. Eh oui, vous avez trouvé, les personnages ressemblent à ceux d’Hergé et en particulier à son plus célèbre héros le reporter Tintin.
Sachant qu’en 1916, Hergé (Georges Remi – 1907-1983) a neuf ans et que la première BD de Tintin date de 1926 (Tintin au pays des Soviets dans le supplément périodique Le Petit Vingtième), rien n’empêche donc de penser que Pière Colombier est peut-être l’un des influenceurs du dessinateur belge. Un raccourci un peu trop facile, diront certains. D’ailleurs aucun spécialiste d’Hergé n’évoque cette inspiration. Et puis d’autres dessinateurs pratiquaient déjà ce graphisme assez dépouillé. C’est le cas par exemple du créateur de Bécassine, Joseph Pinchon (1871-1953), un précurseur, puisque son personnage féminin, dont le trait est lui aussi, proche de celui de Tintin, a jailli du crayon, bien avant, en 1905.
Ce graphisme, qui va caractériser l’œuvre d’Hergé, porte un nom : « la ligne claire », une expression créée en 1977 par le hollandais Joost Swarte. Voici quelques éléments de ce « style Tintin » qui comme on le voit ici, n’a pas Hergé pour père :
– contour systématique : trait noir d’épaisseur régulière, identique pour tous les éléments du dessin
– couleurs en aplats, sans effets d’ombre et lumière, même de nuit, et jamais de hachures.
Reste qu’il est toujours intéressant de montrer que l’art est une longue course de relais, où les idées d’un créateur sont reprises et transcendées parfois par un autre, et ainsi de suite. Et au final, c’est notre culture qui gagne… Mille milliards de mille sabords !
Pascal Roblin