On a beau chercher dans l’hebdomadaire Minute au fil des éditions d’octobre 1972, on ne trouve rien, pas de papier ou de brève sur la naissance du Front national. Pas une ligne. C’est pourtant le 5 octobre 1972 qu’est lancé le Front national. On lit sur Wikipédia que cette création s’est faite » lors d’une réunion privée tenue devant quelque 70 personnes à la salle des Horticulteurs, rue de Grenelle à Paris, sous les auspices du mouvement Ordre nouveau ». Le site encyclopédique poursuit : « La constitution légale du parti date du 27 octobre 1972, jour du dépôt à la préfecture de Paris de ses statuts par Pierre Bousquet, ancien Waffen-SS au sein de la Division Charlemagne et de Jean-Marie Le Pen ».
De dire qu’on ne trouve rien dans Minute (journal fondé en 1962 par Jean-François Devay) n’est pas totalement exact. En effet, dans l’édition du 11 octobre (N°548), une tribune « libre opinion » est offerte sur une page complète à « l’ancien député de Paris » Jean-Marie Le Pen. Voir photo ci-dessous. Il appelle à une « candidature nationale ». On retient aussi qu’il préconise « l’union de tous », entendez une union de tous les mouvements d’extrême droite. Un qualificatif que refuse J.-M. Le Pen qui préfère parler de » rassemblement de la droite national » .
On lit dans l’édition du Monde datée du 24 octobre 1972 : « Le comité directeur du Front national qui regroupe en vue des élections législatives un certain nombre d’organisations et de personnalités d’extrême droite a élu son bureau central : le président est en effet M. Jean-Marie Le Pen ancien député poujadiste, [l’un des] fondateur[s] du Front national pour l’Algérie française. Le bureau est composé outre de M. Le Pen, de M. François Brigneau, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Minute, membre du conseil national du mouvement Ordre nouveau, Alain Robert, membre du bureau politique de ce même mouvement, Roger Holeindre, fondateur du Front uni de soutien au Sud Vietnam, Pierre Bousquet, ancien membre de Jeune nation, secrétaire général du Mouvement nationaliste du progrès et Pierre Durand proche collaborateur de M. Le Pen (…) » Et Le Monde d’annoncer que « La première réunion publique du Front national aura lieu le 7 novembre au Palais de la mutualité « . Dans la note biographique qui est faite par Le Monde sur Jean-Marie Le Pen en dessous de l’article, le journal rappelle qu’il y a moins de deux ans, en 1971, « M. Le Pen avait été l’objet de poursuites en raison de l’édition, sous sa direction, d’un disque intitulé « Le IIIème Reich, voix et chant de la révolution allemande ». Un vinyl 33 tours, qu’on retrouve aujourd’hui encore en occasion sur certains sites marchands.
Le 26 octobre 1972, on peut lire dans Le Figaro que l’appelation « front national » est contesté : « M. J.-M. Le Pen (…) a rendu public une lettre de maître Julien Carnet, avocat, membre, dans la Résistance, du mouvement « Front national », où ce dernier déclare notamment : « La formule front national appartient non à vous mais à l’histoire de France. Pour nous, ancien du Front national, il ne peut être question de laisser utiliser ce titre par une formation politique de quelques tendances qu’elle soit… je suis certain qu’avant le 7 novembre 72 vous aurez trouvé une autre appellation ».
La réponse de J.-M. Le Pen peut se lire dans Le Monde daté du 29 et 30 octobre 1972 : » La formule front national appartient à l’histoire de France. Elle fut utilisée, si je ne me trompe, pour la première fois par Déroulède. Ce fut aussi au regard de la loi une association déclarée en 1934 et qui groupait les Jeunesses patriotes, l’Action française, le parti franciste et quelques organisations de droite. Cette formule fut utilisée de manière clandestine par un groupe de résistants pendant la guerre mondiale et plus tard après la Libération par le Parti communiste camouflé sous les plis du drapeau tricolore, pour y attirer les gogos et les naïfs. M. Mauriac qui en fut, en fit plus tard l’aveu. Dans ces conditions, vous comprendrez qu’il nous paraisse légitime d’utiliser ce titre qui n’est comme vous le voyez, l’exclusivité d’aucun parti ».
Toujours dans le même ordre d’idée, on peut indiquer que l’emblème du Front national, la flamme tricolore, utilisée dès la naissance du mouvement (visuel présenté ici) est directement inspirée de celle du Mouvement social italien (MSI), mouvement néofasciste transalpin créé en 1946, auto-dissout en 1995. Cette flamme, restylisée, est aujourd’hui encore, cinquante ans après, au coeur du logo du Rassemblement national. Il faut garder ses racines.
Le vendredi 19 janvier 1973, le quotidien Combat (issu de La Résistance) fait une brève sur le meeting organisé deux jours plus tôt « au Palais des Sports par le Front national » qui « s’est terminé dans le calme après un long discours de M. J.-M. Le Pen (…) Les attaques contre « le système actuel » et notamment contre le gouvernement ont été nombreuses et axées principalement sur les scandales récents. C’est ainsi que l’UDR, selon M. François Brigneau, a vendu la patrie en viager aux communistes ». Le chef de l’État [Georges Pompidou] n’a pas été épargné : » C’est par la tête que pourrit le poisson ». M. Le Pen, interrompu à plusieurs reprises par les acclamations de l’assemblée, a affirmé en conclusion sa volonté de « mobiliser dans tous les coins de France les combattants de 1973″. Le Front national a d’ores et déjà établi une première liste d’environ cent candidats. »
Deux mois plus tard, le Front national fera 0,62 % aux élections législatives. Mais ça, c’était avant…