Franck Lemort, œil du Détective dans l’affaire Mathieu Hocquet

Si l’accès au tribunal est en général public, avez-vous remarqué que, lors de procès, aucune image, aucun film ni enregistrement audio n’était diffusé par les journalistes ?

Dessin : Franck Lemort

Pourquoi le croquis d’audience ?

            En effet, la loi du 29 juillet 1881 – celle-là même sur la liberté de la presse – interdit « l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image » dans l’enceinte judiciaire. Jusqu’en 1954, pourtant, une certaine tolérance était laissée aux photographes… Mais dans l’affaire Gaston Dominici, jugée cette même année, les incessants flashs (bien plus bruyants encore que ceux de nos appareils modernes), troublèrent le procès à tel point que toute captation d’images fut interdite. Robert Badinter revint quelque peu sur la mesure, en 1985, afin de pouvoir conserver des traces de procès jugés « historiques » ; parmi lesquels on peut citer ceux de Klaus Barbie, de Paul Touvier, de Maurice Papon, ou, plus récemment, du procès des attentats de janvier 2015.

            Alors, comment la presse fait-elle pour illustrer les démêlés judiciaires ? Elle a recours à ses dessinateurs, tels que Franck Lemort, par ailleurs caricaturiste, prêtant ses traits de crayon au Le Centre de la Presse pour une exposition sur les présidents de la République, à venir vers la rentrée 2021. Couvrant régulièrement les procès jugés en cours d’assise à Bourges, il est bien souvent la seule personne qui puisse retracer – au sens propre du terme ! – les expressions sur les visages des différents protagonistes, et ainsi retranscrire l’ambiance de cette suprême alcôve judiciaire.

https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/justice-proces/jusqu-a-20-ans-de-reclusion-pour-quatre-hommes-accuses-du-meurtre-de-mathieu-hocquet-un-cold-case-relance-19-ans-plus-tard_4358099.html

            Ce 2 avril 2021, le procès du meurtre de Mathieu Hoquet s’est clos, avec la condamnation de quatre hommes à des peines allant de 12 à 20 ans de réclusion. Comme l’affaire remontait au 13 juillet 1999, l’importance de ces condamnations n’est pas passée inaperçue, et différents médias se sont saisis de l’information. Conséquence : nous retrouvons un compte-rendu du procès sur franceinfo.fr, mais également un récit in extenso de l’affaire dans Le Nouveau Détective. Tous deux utilisent le précieux croquis d’audience de Franck Lemort, seule paire d’yeux à nous faire entrevoir la justice aveugle en action…

Le Nouveau Détective, bientôt un siècle de faits divers

            Le Nouveau Détective, que l’on retrouve en version papier et internet, est bien connu du Centre de la Presse, qui possède quelques-uns de ses numéros ! Il est le descendant d’une revue fondée en 1928 par Gaston Gallimard : Détective. Dès le premier numéro, on distingue la spécificité de périodique : grandes photos, titres choc, écriture sans concession. C’est le même sang qui coule dans les veines du Nouveau Détective, qui se présente depuis 1982 comme « le premier magazine de faits divers et d’enquêtes ». Tout s’y raconte : rarement le meilleur, souvent le pire, hélas, des agissements humains. On y lit tous les moindres détails des plus sordides exactions, on remonte avec l’enquête du journaliste la piste du crime… Avec un effroi sans égal, même chez Agatha Christie : car tout ce qui est relaté est bel et bien réel.

https://www.lenouveaudetective.com/enquetes/proces/tout-se-paye-un-jour-ou-lautre

            On peut dénigrer le style de la revue, qui a déjà plus que flirté dans le passé avec le sensationnalisme, comme bon nombre de ses consœurs. Mais, c’est sans doute l’un des buts les plus nobles du journalisme, que celui d’attirer le regard du lecteur là où il ne se serait pas aventuré seul. Même sur le plus sombre ; et peut-être encore plus, sur le plus sombre. À feuilleter les pages, à faire défiler l’écran, on s’interroge, on se questionne… Qu’y a-t-il de si passionnant pour les uns, de si révulsant pour les autres, dans la lecture de faits divers ? On s’arrête soudain, le corps plein de sentiments extrêmes entremêlés, le souffle coupé, ne pouvant aller plus loin.

            On peut opposer sur beaucoup de points la démarche journalistique à celle de la justice. Un bon journaliste ne ferait sans doute pas un bon juge, et inversement. Or, il y a bien un point sur lequel leur démarche est la même : la justice comme le journaliste cherchent à établir ce qui a eu lieu. C’est le fait, la vérité factuelle, qui est traquée par les deux professions. Une fois la lumière faite sur l’enquête, elle doit être visible aux yeux de tous – la justice est rendue au nom du peuple. Du juge au dessinateur, tous œuvrent dans ce sens. Tous éclairent le public. Pour juger, mais aussi pour comprendre – comment faire l’un sans l’autre ? Sans les médias, la justice démocratique ne serait qu’incomplètement rendue.

Henry Hautavoine