Ce 9 novembre 2020, Têtu fête dans ses propres pages son quart de siècle ! 25 ans : bel âge, charmeur, qu’ont sans doute peu ou prou les mannequins affichés habituellement en Une du magazine LGBT+ de référence en France. Mais comme un contrepied, c’est Mylène Farmer, « la plus grande icône gay française » selon ses propres auteurs, qui occupe la première page. En réalité, c’est tout un symbole, un double du magazine, presque : une étoile en clair-obscur, à l’ambiguïté revendiquée, et qui fascine toujours autant aujourd’hui qu’en 1995…
Mais revenons à notre revue ! L’histoire du titre est pour le moins chaotique… Elle démarre en plein été 1995, dans un contexte très favorable. Les marches des fiertés défilent pour la première fois un peu partout en France, et on dénombre jusqu’à 80 000 manifestants pour la seule capitale. C’est la fin de l’ère Mitterrand, vent de liberté pour les homosexuels ; depuis seulement cinq ans, l’OMS ne considère plus l’homosexualité comme une maladie mentale ; on commence enfin à ne plus corréler systématiquement « gay » et « séropositif »… Depuis 1992 et la fin de parution du Gay Pied (fondé en 1979), la place est plus que jamais libre pour un nouveau magazine LGBT.
C’est alors que Têtu arrive, soutenu par Pierre Bergé (1930-2017), et exhorte, qui que l’on soit, à se montrer au grand jour – « comme dans tous les magazines ». Les annonceurs publicitaires les plus divers acceptent de s’afficher dans la revue – « comme dans tous les magazines ». On y trouve des infos, interviews, portraits, photos, sur tous les thèmes, bien qu’à destination d’un lectorat précis – « comme dans tous les magazines ». C’est ce que rappelle si justement l’édito du n°1, dans une phrase paragraphe qui résonne comme un mantra. Édito signé par « les Têtus et les Têtues », car jamais le titre ne cherchera volontairement à s’adresser plus à un genre qu’à un autre.
Las ! Malgré les velléités de ses créateurs, Didier Lestrade et Pascal Loubet, le titre cesse sa parution après seulement deux numéros. Mais Têtu s’entête : en 1996, le mensuel se lance définitivement pour une course ininterrompue jusqu’en 2015. Le magazine se taille une place à part dans les kiosques.
Tantôt Têtu titille les stars, qui décident d’y faire leur coming out ou des confidences quant à leur sexualité : Muriel Robin, Emmanuel Moire… Tantôt Têtu teste les politiques : en 2002, Jacques Chirac comme Lionel Jospin s’expriment à l’occasion de l’élection présidentielle ; par la suite, de nombreux élus et personnalités choisissent d’y prendre la parole, pour des annonces professionnelles comme personnelles. Tantôt encore Têtu tâte tétons, torses, tailles, tibias masculins, le plus souvent il faut bien dire : c’est l’image qui lui colle résolument à la peau.
À la fin des années 2000, le titre commence à connaître quelques tumultes. Les ventes ne progressent guère plus, la rédaction subit des changements marqués, la ligne éditoriale s’avère un poil plus vacillante… Pierre Bergé revend en 2013 son bien à Jean-Jacques Augier. Deux ans plus tard, le couperet tombe : Têtu est placé en liquidation judiciaire.
S’ensuit une traversée du désert qui permet finalement au titre de retrouver un second souffle. Le site internet www.tetu.com/ est réactivé début 2016. Têtu relève la tête, une première fois, et reparaît sous la forme d’un bimestriel, qui ne dure pas même le temps de l’année 2017. Nouvelle liquidation judiciaire…
Mais le magazine prouve une fois de plus qu’il mérite son nom mieux que quiconque : fin 2018, une levée de fonds permet à la revue de renaître de ses cendres. Têtu, nouvelle génération, c’est finalement un trimestriel aux Unes toujours marquantes, telles celle d’Antoine Griezmann qui dénonce avec véhémence l’homophobie dans le foot début 2019. C’est aussi un site internet qui ne cesse de s’étoffer et de varier ses contenus, dans l’objectif affiché de faire avancer la cause des LGBT+. Car la nouvelle génération questionne de plus en plus les frontières entre les genres et les sexualités, dans une même lutte contre les préjugés et les phobies, quelles qu’elles soient.
Ses 20 ans étaient tristes ; ses 25 ans sont indéniablement plus « gays » – oui, on ose ! Parce que Têtu a justement osé, et ose encore, dans un monde qu’il n’imagine ni morose, ni seulement rose. Il fantasme plutôt une société où flotterait pacifiquement le drapeau multicolore… Qui sait ? Somewhere, over the rainbow… new blurred flag? *
Henry Hautavoine
*Jeu de mots en référence à la chanson, traductible ainsi : « Quelque part, au-delà de l’arc-en-ciel… un nouveau drapeau estompé ? » https://www.youtube.com/watch?v=PSZxmZmBfnU